JEAN 21, v 1 à 14
J’ai choisi cette page de l’évangile de Jean comme bonne nouvelle pour notre jour de Pâques parce qu’il me semble qu’elle fait écho au travail des enfants et à leurs questions. Les disciples sont au bord du Lac de Tibériade. Ils sont tristes ; remplis de doutes et de questions. Ils ont perdu leur ami, leur maître. L’espérance s’est envolée. Jérusalem vient d’engloutir leurs raisons de vivre, de croire, d’aimer. Et puis ils sont tristes parce que le travail de ce jour, tout comme leur marche avec le Galiléen, se heurte à l’impossible. La pêche de la nuit bute sur l’échec. Les filets restent vides, désespérément vides ! On imagine le désarroi des disciples. Ils ont travaillé toute la nuit mais ils n’ont rien pris ! Ils se sont donnés sans compter mais leur travail est resté vain.
La misère des disciples ressemble à la misère de tous ceux qui rencontrent l’échec. Ils se heurtent au désespoir comme se heurtent au désespoir tous ceux à qui on a enlevé des raisons de vivre, des raisons de pouvoir rester sur leur terre, dans leur maison, dans leur pays et qui sont obligés de prendre la mer pour vivre. La tristesse des disciples en cette matinée de Pâques ressemble à la tristesse de tous ceux qui dans leur vie personnelle, familiale, dans leur vie d’église, font l’expérience de la division. On perd confiance les uns dans les autres. On ne sait plus se regarder comme on savait se regarder avec les yeux de la tendresse et de la confiance. Un voile s’est imposé devant les yeux. C’est le voile du désespoir et de la tristesse. La mort vient d’engloutir le rêve fabuleux du Galiléen. L’espérance s’en est allée comme sont restés vides les filets de la pêche et de leur travail.
Ils veulent rentrer. Ils sont épuisés. Il est temps pour eux d’aller soigner leur mal de vivre. C’est alors qu’une parole vient les rencontrer : « Jetez le filet du côté droit de la barque. Vous trouverez du poisson ! » Sans trop savoir pourquoi, ils obéissent à cette parole. Probablement parce que c’est une parole de recommencement. Une parole d’espoir qui vient les rencontrer dans leur désespérance. Ils l’entendent. Ils la cueillent. Tout ne serait donc pas fini ! La mort et l’échec ne seraient pas la fin ultime des choses !
« Allez, jetez vos filets ! » – C’est alors que l’échec fait place à l’abondance. Les filets qui étaient vides, désespérément vides, se remplissent d’une plénitude inattendue. 153, c’est le chiffre de la plénitude, de la totalité absolue. Dans l’histoire tragique de ces hommes, une lumière vient éclairer le chemin. Le tragique ne conclut pas leur histoire. La « petite fille espérance » vient à leur rencontre. Elle prend la forme d’une parole improbable, d’un visage qu’on ne reconnaît pas. Mais elle est là !
Vous avez remarqué que Jésus, le ressuscité, maintient une réserve, une distance. Il ne se met pas dans la grande lumière. Il se donne de telle sorte qu’il faut le reconnaître. Mais il est là. Il les attend. Il les précède sur le lieu de leur travail et de leur échec tragique.
Le ressuscité vient à la rencontre de tous ceux qui se battent pour vivre. Ils vous précèdent ! Il est là pour tous ceux qui se battent contre l’échec et le désespoir et qui veulent s’en sortir. Il est là pour rêver avec eux d’espoir, de plénitude, de pêche réussie. Il inaugure une chance nouvelle de travailler et de poursuivre les combats de la vie. Quand tout semble trop lourd, recommencer avec le ressuscité, c’est passer du « tout est fini ! » au « c’est encore possible ! » – « Cela vaut la peine de continuer ! ». Recommencer avec le ressuscité, c’est faire grande une place à l’espérance.
Alors qu’ils ramènent le filet, une scène surprenante les attend. Imaginez. Le jour se lève. La lumière est belle. Un feu sur la plage. Les braises sont prêtes. Le poisson est en train de griller. Il y a du pain à partager. Les disciples ne sont pas nécessairement surpris. Il y avait bien cet homme qui au cœur de la nuit leur avait dit de lancer le filet sur le côté droit de la barque. C’est probablement lui qui a préparé le feu. Mais voilà que l’homme en question les invite : « Venez manger ». Ils sont alors saisis. Ils le reconnaissent. Aucun des disciples n’osaient lui demander : « Qui es-tu ? » Car ils avaient compris que c’était le Seigneur !
« Venez, mangez » – Ils le reconnaissent au moment où il prononce cette parole. Elle est la signature du ressuscité. Reconnaître le ressuscité, c’est reconnaître celui qui t’attend, celui qui te donne à manger et qui te comble ! Et chose extraordinaire, il t’attend dans les lieux les plus insolites. Ici, c’est sur la plage, un lieu qui n’a rien de solennel, et ce repas ne ressemble en rien à un rituel. Il sent la vie, il sent le travail des hommes, le labeur, la sueur, l’échec, l’espoir. Ici, il n’y a pas de distance entre le travail et le repas. Le ressuscité se donne à être reconnu dans les gestes de la vie.
Sous le signe de ce repas, de ce partage simple qui comble et qui nourrit, c’est tout le travail des hommes qui est à transformer avec le ressuscité en œuvre de plénitude, d’abondance, de bonheur partagé.
La grande et belle nouvelle de Pâques, c’est que nous sommes attendus dans nos histoires humaines, qu’elles soient paisibles, heureuses ou tragiques. Nous sommes attendus dans nos histoires personnelles, familiales, collectives. Et celui qui nous attend nous accueille avec une parole simple : Viens manger. Viens, pour toi il y a quelque chose à manger, quelque chose à partager avec toi !
Dire en ce matin de Pâques que Jésus est ressuscité, c’est dire que l’on se sait attendu ! Que l’on se sait précédé ! Que l’on se sait aimé et accueilli ! Venez ! Mangez !
Amen