Le sentiment religieux, de l’irréligion d’hier à la religion de l’avenir

Le récit de Pâques dans les évangiles ne vient pas nous raconter la réalité de ce matin-là mais la véracité de ce qu’ont vécu les premiers disciples de Jésus.

Loin d’être des récits  historiques, racontant avec plus ou moins de détail la résurrection d’un mort, les évangiles nous parlent d’une expérience de foi. Expérience qui ne peut se dire avec des mots humains, avec les mots du réel, mais qui peuvent se partager avec la vérité des images et des symboles.

Ainsi, si la croyance insiste sur la réalité de ce qui est cru, la vérité elle ne repose que sur un sentiment que nous appellerons : sentiment religieux.

Le philosophe et théologien Schleiermacher définit la religion comme un sentiment de dépendance à l’Univers [1]. A travers le mot religion, ce ne sont pas les institutions ou les formes particulières que nous lui connaissons aujourd’hui et dans le passé. Ce qui intéresse le philosophe ici est de définir ce qui est l’origine même de ce qui va provoquer la croyance en des doctrines particulières.

Ferdinand Buisson décrit ce sentiment avec ces magnifiques mots :

« Je regarde […] là-bas au fond du noir espace, cette étoile qui scintille. Je regarde encore, comme fasciné par ce phare allumé sur l’autre rive d’un Océan si immense  […]  ce simple point igné, c’est, à une distance inexprimable, un soleil, un monde énorme, autour duquel sans doutes d’autres mondes tournent. Et quand je suis arrivé à me le représenter, cet univers lointain, je regarde à côté et en voici d’autres, à droite, à gauche, en avant, en arrière, partout des mondes peuplant l’immensité, partout des soleils qui roulent à travers les espaces sans fin, qui brillent et qui brûlent depuis quand et jusques à quand ? […] Et, cette fois encore, c’est un autre mot de Pascal qui me monte au cœur : « Qu’est-ce qu’un homme dans l’infini ? »

D’une irrésistible intuition, j’ai senti mon néant ; je m’étonnais d’être tout à l’heure, je m’en étonne encore plus maintenant que je me mets à la place dans un pareil ensemble. Atome, raccourci d’atome, il n’y a pas de mot pour dire ce que je deviens à mes propres yeux quand j’ai eu ainsi la vision du monde.[2] »

Cette expérience qui fait prendre conscience de l’univers de la place que j’y occupe pourrait nous laisser croire que nous ne sommes rien et que nous soyons ou que nous ne soyons pas, cela ne change rien. Et pourtant tout en prenant conscience de l’immensité de l’univers ou je me trouve, j’ai le sentiment de cette dépendance qui me donne toute ma place. Nous pouvons retrouver ce même sentiment dans les paroles du psalmiste s’adresse à ce Dieu perçu au travers de l’immensité de sa Création : « Quand je regarde ton ciel, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as mises en place, qu’est-ce que l’homme, pour que tu te souviennes de lui, qu’est-ce que l’être humain, pour que tu t’occupes de lui ?[3] »

C’est de ce sentiment que vont ensuite se former les croyances en lien avec la culture comprise au sens le plus large. Ainsi à travers les siècles, depuis le premier acte religieux qui consiste à enterrer les morts, aux expressions les plus contemporaines, les croyances vont évoluer au gré des progrès de la pensée et des découvertes scientifiques.  

Si la pratique religieuse dans nos pays sécularisés est en chute, il faut peut-être aller voir du côté de cette évolution de la croyance. En fait, le langage de nos Églises – j’entends par langage l’ensemble de la dogmatique et de doctrine – n’évolue plus. C’est comme si l’expression de la croyance religieuse avait atteint son but et ne devait plus se modifier. C’est ce caractère conservateur qui vient réduire l’espace du sentiment religieux.

Le sentiment religieux, lui, est bien là, il reste fort et il n’est qu’à voir le succès de spiritualités proches du paganisme ancien et qui promettent un développement personnel ésotérique.

Il est donc nécessaire de retrouver une croyance qui s’articule avec le monde pour répondre à un sentiment religieux qui ne peut se satisfaire d’un divin mystérieux et magique.

Et c’est sans doute une évolution de plus à apporter à cette longue histoire de la croyance chez l’être humain.

La raison et la conscience libre, ne peuvent plus être laissées de côté, mais conscience, raison et foi marchent de pair et ce qui pouvait apparaître pour de l’irréligion au siècle dernier est peut-être la religion et le christianisme de l’avenir. Un sentiment religieux qui transcende la croyance religieuse.

Christophe Cousinié

 Pasteur de l’Église Protestante Unie de France


[1] Friedrich Schleiermacher (1768-1834), De la Religion, Van Dieren éd. 2019

[2] Ferdinand Buisson, La Religion, la Morale et la Sciences. Fischbacher. Paris 1900. p107-109

[3] Psaume 8, 4-5, traduction Nouvelle Bible Second

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